Marine Le Pen chez Ruquier : fidèle à elle-même

Marine Le Pen était l’invitée d’ « On n’est pas couché » samedi 18 février sur France 2.  Encore une fois, elle a déroulé son discours sans que ses interlocuteurs n’aient vraiment le temps de la relancer et la contredire

 

« On n’est pas couché » reçoit l’ensemble des candidats à la présidentielle. Laurent  Ruquier explique ainsi d’emblée que s’il a refusé de recevoir la candidate du FN auparavant, il était normal de la recevoir en période de campagne électorale, au vu de son poids politique. Marine Le Pen s’est vu accorder 40 minutes, d’après le calcul de la chaîne, contre 15 minutes pour Hervé Morin (avant qu’il ne se désiste) pour le Nouveau Centre par exemple, Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière ou Philippe Poutou pour le NPA.

Une victime incomprise

Comme à son habitude, Marine Le Pen a joué les victimes. Elle n’arrive pas à obtenir les 500 signatures ? C’est parce que les deux grands partis exercent des pressions sur les élus, et non parce qu’elle a négligé cet exercice de chasse aux parrainages ou parce qu’elle n’arrive pas à convaincre les élus de l’utilité de la soutenir. D’où sa demande auprès du Conseil constitutionnel pour rendre anonyme les parrainages. Là où elle n’a pas tort, c’est à propos des modes de scrutins locaux qui désavantagent les petits partis. Le manque de proportionnelle empêche effectivement les candidats FN de l’emporter au second tour. Et d’être ainsi des pourvoyeurs de parrainages au moment de la présidentielle. 

Elle a assisté à un bal à Vienne donné par des fraternités réputées néo-nazies ? C’est dans la tradition du FN de rencontrer les mouvements européens qui prônent la souveraineté des peuples. Les autres participants étaient des partis « tout à fait respectables ». Ainsi le FPÖ autrichien : « On aurait un parti nazi au pouvoir en Europe et personne n’en parle » ? s’étonne-t-elle. Elle s’en prend alors à SOS Racisme et aux autres partis, qui accusent de fascisme tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

On en vient alors à son programme. Sur l’école : retour à l’autorité et au respect dû aux enseignants, interdiction des portables, code vestimentaire pour éviter « le nombril à l’air et les mini-jupes ». Je crois que là, on est tous d’accord sur le principe. Là où ça coince, c’est quand elle veut raser les établissements pourris pour les reconstruire plus loin. Qu’est-ce que ça change ? C’est bien joli un établissement tout neuf, mais s’il manque de moyens et d’effectifs enseignants, s’il est le lieu d’insécurité ou d’échec scolaire, le reconstruire ailleurs ne résoudra rien. Enfin, plus d’autorité aux enseignants, d’accord, mais elle ne dit rien sur leur formation et leur recrutement, problèmes pourtant au cœur de leurs préoccupations.

Le vœu pieux du zéro immigration

Place à son thème de prédilection : l’immigration. Marine Le Pen veut ramener le nombre d’immigrés légaux à 10 000 par an, contre 200 000 aujourd’hui.  Comment ?  En supprimant tous les avantages dont bénéficient selon elle les immigrés et qui les encouragent. Par exemple, l’école gratuite : voudrait-elle faire payer l’école aux immigrés ? L’aide médicale d’Etat, qui selon elle ne profite pas seulement à ceux qui souffrent de maladies graves. Or, les conditions d’accès ont été durcies en 2005, puis en 2010. La nouvelle loi impose un droit d’entrée de 30 euros par an par bénéficiaire et réduit les ayant-droits au conjoint et aux enfants du bénéficiaire. Je vous laisse imaginer la colère des associations contre une mesure qui ne rapporterait au mieux que 6 millions d’euros par an.

D’autres choses apparaissent dans son programme et me posent davantage problème. Immigration zéro, avec reconduite aux frontières des clandestins : à raison de 20 000 euros par personne, comment fait-on pour financer ces reconduites aux frontières avec une dette comme la nôtre, une croissance aussi molle et des problèmes autrement plus urgents à résoudre? Interdiction des manifestations de soutien aux clandestins : on est en démocratie ou pas ?

Elle termine par son antienne, reprise par d’autres désormais ( Sarkozy, Valls, Guéant, … ) : il y a plus de médecins béninois en Ile-de-France qu’au Bénin. Ce qui est totalement faux. D’après une enquête de l’OCDE de 2007, 40.9% des médecins béninois exercent dans un pays de l’OCDE. Donc près de 60% travaillent au Bénin. Ceux qui travaillent dans l’OCDE ne travaillent évidemment pas tous en France et encore moins tous en Ile-de-France.

Quant à la préférence nationale, elle le justifie par une mauvaise foi et un mensonge confondants. Prenant l’exemple de l’Oréal, qui privilégierait les candidats aux patronymes étrangers, elle prétend que les candidats avec un nom bien français auraient désormais moins de chance d’être embauchés à cause de ces mesures de discrimination positive prônée par la Charte de la diversité. Non seulement cette charte ne prône pas cette discrimination à l’envers, mais Marine Le Pen « oublie » que le chômage touche davantage les jeunes issus de l’immigration et qu’ils sont plus souvent victimes de discrimination à l’embauche ou au logement. Elle parle d’études pour appuyer ses dires sans jamais préciser desquelles il s’agit pour mieux retourner le problème.

La menace sur l’IVG

Après un passage sur l’euro où je ne l’ai pas trouvée convaincante sur les conséquences pour le pouvoir d’achat, on en vient à parler de la politique nataliste. Marine Le Pen veut dérembourser l’IVG de confort, c’est-à-dire utilisée trop souvent, comme un moyen de contraception en soi. Mais comme le dit Audrey Pulvar, ce n’est pas la majorité des cas. Et je  ne pense pas que celles qui y ont eu recours aient vécu cela comme des vacances ! Le terme « IVG de confort » est tout simplement scandaleux. Le problème, c’est la prévention. Or l’Etat a peu à peu coupé les crédits aux Plannings familiaux, qui ne peuvent plus jouer leur rôle d’information, d’orientation et de soutien aux jeunes filles. Comment s’étonner dans ces conditions que le nombre d’IVG ne diminue pas ? Alors même que l’on sait que les conditions d’accès ne sont pas garanties partout. Le mouvement des Plannings familiaux a lancé une pétition sur son site internet. Marine Le Pen ne propose absolument pas d’augmenter leur budget, bien au contraire. Sa solution : donner un salaire et un logement aux futures mères. Mais ça ne suffira pas forcément pour qu’elles décident de garder leur enfant. Elever un enfant n’est pas qu’une question de moyens. Les jeunes filles doivent être suffisamment mûres et être entourées pour y arriver. Le FN reprend juste la vielle rengaine de l’extrême-droite, pour qui les femmes doivent rester à la maison et faire des enfants.

 

La fin de l’entretien ressemble à l’échange que Marine Le Pen avait eu avec Anne-Sophie Lapix sur Canal + concernant l’augmentation de 3% de la TVA sur les produits importés. Cette mesure doit financer une valorisation des bas salaires. Les mêmes questions me viennent : quels sont les produits auxquels elle pense ? Qui importe ses produits ? Elle maintient que ça ne pèsera pas sur les prix payés in fine par le consommateur, mais j’en doute. Les industriels répercuteront forcément cette augmentation de charge sur le prix final pour maintenir leurs marges. Sous couvert de vouloir augmenter le pouvoir d’achat, elle propose une solution simpliste, dont elle a l’air de pas mesurer tout à fait les effets pervers possibles.

 

Une candidate dangereuse

Marine Le Pen n’a pas été interrogée sur l’insécurité ou sur l’islam. Elle n’a pas non plus eu le temps de développer son discours soi-disant social en direction des ouvriers. N’empêche que ses contre-vérités, que ses contradicteurs n’ont pas eu l’occasion de relever, vont rester en mémoire si le spectateur ne va pas vérifier l’information. C’est en cela que Marine Le Pen est dangereuse, même si elle n’est pas seule à utiliser cette méthode. Ce ne sont pas les accusations de fascisme qui se banalisent, comme elle dit, ce sont ses idées. Il est donc important pour les journalistes de la pousser dans ses retranchements, notamment sur les questions économiques où elle est la moins à l’aise, pour déconstruire son discours et l’image qu’elle veut donner du parti. Car non, le FN n’est pas un parti populaire, ni le parti des ouvriers. Marine Le Pen n’est pas la seule candidate hors-système. Rappelons que Marine Le Pen est née à Neuilly, dans une famille plutôt aisée. Elle était avocate avant de se lancer en politique. Si elle a été élue à la tête du parti à la suite de son père, c’est notamment grâce à son nom. Elle connaît donc parfaitement les rouages du système et ne vaut pas mieux que les autres candidats de ce côté-là. Si elle est hors-système, c’est uniquement à cause de la ligne de son parti, qui la met d’emblée au ban du jeu démocratique. Mais Marine Le Pen est loin d’être une victime, mal-aimée par les médias. Au contraire. Elle fait vendre et elle fait de l’audience parce qu’elle intrigue. Elle est davantage sollicitée par les médias et plus audibles auprès des classes populaires que les partis d’extrême-gauche. Et il est peut-être là le fond du problème.
Les électeurs ont bien compris que voter FN fait plus de bruits auprès des médias et donc des politiques. Ils continueront donc à se servir de cet outil tant que les partis traditionnels ne proposeront pas de réelles solutions à leurs problèmes au lieu de surenchérir sur les positions du FN.

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