Borgen : itinéraire d’une femme au pouvoir

La série danoise du moment, Borgen, vient de s’achever sur Arte. Après 10 épisodes de presque une heure, elle nous laisse de nombreux sujets de réflexion sur le pouvoir, la politique, les médias et la place des femmes

Borgen raconte l’arrivée au pouvoir et la première année de gouvernement de la première femme Premier ministre au Danemark, Birgit Nyborg. Diffusée sur Arte, elle a eu un gros succès dans son pays d’origine, avec un million et demi de spectateurs en moyenne, sur une population de 5.5 millions. Borgen est le nom donné par les Danois au château de Christiansborg où se trouvent notamment les bureaux du Premier ministre et le Parlement.

Le parti pris de la série est simple : donner à voir les rouages de la politique aux spectateurs, en même temps que les découvre Birgit. Car elle est jeune dans ce milieu. Son parti, les centristes, n’a jamais été au pouvoir. Elle a donc encore toute sa naïveté et va s’y casser les dents.

Si Birgit réussit à faire gagner les élections à son parti, contre toute attente, c’est parce qu’elle a osé parler avec son cœur et ses tripes lors de sa dernière intervention dans le dernier débat de la campagne. Persuadée qu’elle avait déjà perdu, elle s’est éloignée du discours que lui avait préparé son responsable de la communication, Kasper Juul. Surtout, ses deux principaux opposants, Hesselboe, Premier ministre sortant et chef des libéraux, et Laugesen, chef  des travaillistes, sortent tous les deux affaiblis d’une affaire. Le second a révélé à la toute fin du débat que le premier s’était servi de la carte de crédit du ministère pour payer des achats de sa femme. Les électeurs les rejetteront tous les deux.

Birgit entourée de son ministre des Finances Bent Sejrø
et de son chargé de communication, Kasper Juul

Crise sur crise

Birgit se voit donc confier par la reine la lourde tâche de composer un gouvernement et de construire une majorité au Parlement. Mais les perdants ne l’entendent pas de cette oreille et essayent de la torpiller. Elle apprend donc à être ferme et se faire respecter comme leader. Elle se tourne vers les écologistes et les petits partis de gauche, en plus des travaillistes, pour bâtir une coalition.

Ensuite, dans chaque épisode, Birgit doit faire face à une crise, qui va entamer un peu plus ses principes et ses certitudes. D’abord, ses alliés travaillistes lui mettent la pression pour obtenir la construction d’une autoroute en échange de leur vote du budget. Lorsque Birgit fait mine de leur accorder ce qu’ils demandent, ils réclament encore autre chose. Elle comprend alors qu’ils sont en mission téléguidée par Laugessen, qui n’a toujours pas digéré sa défaite. Elle se voit obligée de demander l’appui des libéraux.

Au fur et à mesure, Birgit apprend à bluffer, à manipuler son interlocuteur pour obtenir ce qu’elle veut et ne pas perdre la face. Ainsi avec le plus grand dirigeant d’entreprise du Danemark, qui menace de délocaliser toutes ses activités si elle ne retire pas son projet de loi sur la parité dans les conseils d’administration. D’abord proche de céder, elle étudie son adversaire et comprend qu’il est trop patriote pour mettre sa menace à exécution. Elle lui fait donc comprendre qu’il est dans son intérêt d’appliquer la loi, voire de la devancer, pour se présenter comme un dirigeant moderne.

Une autre partie de poker commence alors avec le président de la fictive Turghisie, qui lui demande d’arrêter et extrader l’un de ses opposants, qu’il qualifie de terroriste car leader d’une minorité indépendantiste. Or les ONG dénoncent le caractère autoritaire de ce régime et craignent qu’il ne soit tout simplement exécuté. Le président turghisien menace de ne pas signer le contrat avec une société danoise d’énergie si Birgit n’obtempère pas. Elle doit ruser pour lui faire dire devant les médias que les deux affaires ne sont pas liées et ainsi libérer l’opposant sans perdre le contrat.

Parfois, Birgit doit mettre de l’eau dans son vin et aller contre ses convictions pour maintenir son gouvernement à flot. Elle accepte ainsi, dans le dernier épisode, de virer son ministre des Finances et par ailleurs chef des centristes – et surement son mentor, au vu de leurs relations de confiance – pour favoriser les travaillistes, qui ont le vent en poupe dans les sondages. Au final, elle doit se séparer de son plus proche collaborateur, pour sauver sa majorité.

La famille en pâtit

Sa vie privée est peut-être la plus sacrifiée sur l’autel de l’exercice du pouvoir. Elle voit de moins en moins ses 2 enfants. Le plus jeune, Markus, mouille régulièrement son pantalon. Sur la fin, il refuse d’aller à l’école pour rester avec elle au ministère. Sa fille Laura commence à ressentir les difficultés grandissantes au sein du couple.

Car au début, son mari Philip la soutient pleinement, jouant son rôle à la maison et auprès des enfants, tout en donnant des cours à la fac. Il est même de bons conseils pour Birgit. Et si Birgit arrive à se sortir de situations difficiles, c’est en parti grâce à cela. Mais très vite, Philip se lasse de perdre sa femme. Il ne la reconnaît plus, n’arrive plus à lui parler. Elle a tendance à prendre les décisions plutôt qu’à discuter avec lui. Philip finit par accepter un job de cadre d’une grande entreprise, contre l’avis de Birgit. Mais elle l’oblige à démissionner lorsqu’elle découvre que c’est un sous-traitant de sous-traitant du fabriquant de l’avion de chasse que le pays vient d’acheter. Ce sera la goûte d’eau et le début de la fin pour le couple. Philip entame une liaison et finit par demander le divorce.

Malgré tout cela, Birgit fait rédiger un discours efficace et inspirant à Kasper pour l’ouverture de la nouvelle session parlementaire. Tout le monde la félicite. Mais elle se retrouve bien seule à la fin de l’épisode. Le dernier plan est éloquent, la montrant seule dans son bureau.

Birgit avec son mari et leurs enfants

Les médias en embuscade

L’autre grand personnage de la série, ce sont les médias. D’un côté, un quotidien populiste, l’Ekspress, tenu par Laugesen. Il s’en sert pour mettre de l’huile sur le feu avec des affaires qui secouent le gouvernement. Il ne recule devant aucune manipulation. Il sort même un livre, où il salit tous les membres du gouvernement et révèle que c’est Kasper qui lui a fourni les factures des achats de Hesselboe.

De l’autre, TV1, première chaîne d’info du pays. La jeune présentatrice vedette du 20 heures, Katrine Fønsmark, est une ancienne petite amie de Kasper. C’est une passionnée, une idéaliste du métier, qui se trouve souvent en désaccord sur la ligne éditoriale avec son rédacteur en chef, Torben Friis. C’est à elle que s’adresse un ancien militaire pour révéler que les Etats-Unis se servent d’une base du Groenland pour faire transiter des détenus vers Guantanamo. C’est elle qui mène l’enquête sur le processus de décision pour le choix de l’avion de chasse. Et découvre que le ministre de la Défense a participé à un voyage de travail en Ecosse sur invitation du constructeur de l’avion retenu, avec parties de chasse onéreuses et repas somptuaires. Pour finir, il a reçu des fusils gravés à son nom.

Katrine Fønsmark

D’un autre côté, grâce à sa relation avec Kasper, elle bénéficie de la primeur des réactions des ministres lorsqu’ils doivent s’expliquer. Au final, chacun se sert de l’autre pour arriver à ses fins. Jusqu’à cette interview dans l’intimité du Premier ministre demandée par Kasper dans le dernier épisode. Il ne dit pas à Katrine que c’est lui qui aura le dernier mot sur le montage. Lorsqu’elle l’apprend, elle s’en prend violemment à son rédac chef, qui plaide la nécessité d’avoir ce scoop, à n’importe quel prix. Elle démissionne suite à cette altercation.

Deux femmes de caractère

J’ai beaucoup aimé cette série et l’ai suivie avec plaisir. Pas seulement parce que les personnages principaux, Katrine et Birgit, sont des femmes, mais parce qu’elles représentent un idéal. On manque de dirigeants politiques et de journalistes intègres comme elles. Birgit est arrivée au pouvoir avec cette envie de faire de la politique autrement. Sa volonté d’être irréprochable était louable. C’est pourquoi elle ne laissera rien passer à ses ministres, quitte à faire de l’ingérence et se les mettre à dos. C’est sûr que quand on veut bousculer les habitudes et demander des comptes, ça froisse certains. Je respecte sa capacité à s’indigner sincèrement lorsque l’un deux commet une faute grave. Dommage en revanche que, hormi la loi sur la parité, on n’ait pas un plus grand aperçu des mesures concrètes mises en place par Birgit.

En revanche, je ne comprends pas le tournant qu’ont pris les scénaristes dans la relation entre Birgit et Philip. J’étais agréablement surprise que Birgit ait un mari aimant et arrangeant pour l’aider dans sa tâche. Cela donnait une image moderne. D’autant qu’il travaillait également. Mais les auteurs ont rapidement retourné la situation. Alors que les femmes d’homme politique doivent rester aux côtés de leur mari et acceptent tout, on ne pouvait ici attendre la même chose de Philip? C’est lui qui a une liaison, et elle est obligée de l’accepter pour ne pas donner libre cours aux rumeurs.

On revient donc au schéma classique de la femme trompée et bafouée mais qui reste digne. Si la situation était inversée, comment Philip aurait-il réagi? La scène pour moi la plus choquante est celle où il lui apprend qu’il a accepté ce nouveau job. Il a alors envie d’elle, alors qu’il l’avait rejetée lors de leurs vacances dans la résidence du Premier ministre. Comme si, grâce à cette décision, il retrouvait sa fierté de mâle. Leurs ébats sur le plan de travail de la cuisine ont alors un goût amer pour Birgit.

Je dois dire que Katrine est peut-être mon personnage préféré. Sa soif de vérité et son intégrité professionnelle l’honorent. Je trouve intéressant que ce soit une femme là encore qui tiennent le haut du pavé. Elle travaille dur, ne se contente pas de présenter les infos mais fait ses propres recherches, ce qui agace son rédacteur en chef. Dans l’avant-dernier épisode, elle ne respecte pas le fil de l’interview avec le Premier ministre tel que convenu avec Kasper et lui pose des questions personnelles. J’en suis venue à me demander si elle n’était pas mieux seule. On dirait qu’elle a du mal à travailler en équipe et à faire confiance aux autres pour faire leur boulot correctement. Et elle a du mal à suivre des ordres lorsqu’elle n’est pas d’accord. Au final, elle a peut-être bien fait de démissionner.

Après quelques essais mal maîtrisés en France, – l’Etat de Grace et les Hommes de l’ombre -, voilà enfin une série mettant en scène une femme politique de bonne facture. Passionnante, bien écrite et bien réalisée, elle ne vient pourtant pas des Etats-Unis. Les Américains eux-même ont acheté les droits pour en faire une adaptation. Preuve qu’il est possible d’être à la fois ambitieux, sur la forme et le fond, et grand public. D’ailleurs, les audiences d’Arte sont très bonnes, notamment auprès des femmes. Peut-être une leçon à tirer pour les auteurs et producteurs français. Vivement la saison 2.

Interview du créateur Adam Price

Laisser un commentaire