Abattement fiscal des journalistes : les pistes pour réformer le système

L’Assemblée nationale vient de décider le maintien de la niche fiscale des journalistes. Pourtant, il serait simple de la réformer pour plus de justice fiscale. Retour sur les raisons d’être de ce dispositif, avec quelques idées pour l’adapter à la réalité du métier

 

A l’heure de la nécessité de faire des économies et trouver de nouvelles recettes pour le gouvernement, la chasse aux privilèges injustifiés ou aux niches fiscales inutiles est ouverte. Parmi les cibles, l’abattement fiscal des journalistes, véritable serpent de mer depuis 30 ans, que les politiques cherchent à supprimer. Ce dispositif remonte à 1934. A l’époque, une liste de 110 métiers très différents, supposés supporter des frais professionnels supérieurs aux autres, avait été dressée. Ils étaient autorisés à déduire jusqu’à 30% de leurs revenus déclarés au fisc. Dans le cas des journalistes, il s’agissait de compenser les faibles capacités des éditeurs à rembourser les frais de leurs collaborateurs.

 
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Aider un secteur en crise

Sous Jospin, après d’âpres négociations avec les syndicats, le dispositif est maintenu pour les seuls journalistes. Désormais, cela correspond plus à une aide indirecte à la presse, secteur en crise et ultra subventionné. Mais ce ne sont plus 30%, mais un forfait de 7650 euros que l’on peut déduire. Depuis, beaucoup continuent de critiquer l’existence même de cette niche et accusent les journalistes de corporatisme. Les opposants pointent du doigt les grands pontes et les stars du PAF, qui n’ont pas besoin de cette niche selon eux.

Je bénéficie moi-même de cet abattement. Etant pigiste, avec des revenus irréguliers, la somme de 7650 euros correspond peu ou prou à la moitié de mes revenus annuels. L’abattement m’exonère donc de payer un impôt sur le revenu. Mais qu’on ne se méprenne pas. Je suis profondément de gauche et croit en la redistribution et la solidarité. Je serai fière le jour où je paierai des impôts : cela signifiera que je gagne suffisamment bien ma vie. Et je serai ravie de rendre à la collectivité ce qu’elle m’a donné. Mais pour l’heure, quand je gagne 500 euros 3 mois de suite, j’ai déjà du mal à joindre les deux bouts. Imaginez si je devais payer des impôts.

 

Des solutions pour adapter le système

Cependant, je comprends les critiques des opposants et pense que le gouvernement aurait dû engager une réforme. En l’état, il donne l’impression d’avoir cédé à une profession qui pouvait lui nuire. Pourtant, plusieurs axes de réformes sont possibles, sans qu’il soit nécessaire de supprimer la niche, pour faire en sorte qu’elle profite à ceux qui en ont vraiment besoin :

selon la taille de l’entreprise de presse : on pourrait réserver cet abattement aux petites structures, qui ne proposent effectivement pas le remboursement des frais. Aujourd’hui, l’avantage bénéficie 2 fois à certains salariés : remboursement par l’entreprise et déduction fiscale par l’Etat.

selon l’ancienneté du salarié dans la profession : le journaliste pourrait bénéficier de cet abattement pendant ses premières années d’exercice ( 2, 3 ou 5 ans), pendant lesquelles il est plus susceptible d’être pigiste ou en CDD et donc de souffrir de précarité.

selon les revenus du salarié : à l’heure actuelle, il n’est pas fait de distinction. Pourtant, on comprend très bien que les patrons de presse ou les grandes stars de la télé et de la radio qui gagnent de très bons salaires n’ont pas besoin de cet abattement et pourraient contribuer davantage. Surtout quand certains cumulent plusieurs fonctions dans diverses entreprises ( mais ceci est un autre débat).

Dans tous les cas, l’abattement pourrait être modulé de manière progressive ou tout simplement supprimé pour ceux qui ne remplissent pas les critères. Critères à définir en concertation avec les syndicats. Sans oublier de subordonner ce bénéfice à la détention obligatoire de la carte de presse, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. De cette manière, les journalistes, qui dans l’exercice de leur profession pointent du doigt les privilégiés, ciblent les tricheurs et fraudeurs, montreraient qu’ils ont l’esprit de responsabilité et de solidarité.

            / stephanieabeloos.owni.fr

Une précarité grandissante

Le plus grave n’est pas le maintien de cet abattement, mais la situation financière de beaucoup d’entreprises de presse qui maintient dans la précarité les jeunes journalistes. Le nombre de pigistes et CDD n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Les patrons préfèrent recourir à ces statuts, voir les pérenniser, plutôt que d’embaucher en CDI. Et si pour certains, la pige est un choix synonyme de liberté et d’indépendance et permet de vivre décemment, pour d’autres, dont je suis, c’est un passage obligé synonyme d’inquiétude pour l’avenir. Évidemment, on ne fait pas ce métier pour l’argent, mais par vocation à être utile à la société. Cependant, je n’ai pas fait 5 ans d’études pour ne gagner même pas le SMIC plusieurs mois dans l’année.

Alors vous me direz, avec mon diplôme et les compétences acquises après 4 ans dans le métier, je peux faire autre chose si je veux gagner plus d’argent. Sauf que je ne vois ce que je pourrais faire d’autre. Et je ne pense même pas que j’en aie envie. Alors que faire ? Hollande a promis de faire de la jeunesse la priorité de son quinquennat. J’ai bientôt 30 ans. Vais-je encore louper le coche?

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