Le choix ne fut pas facile. Cette année a été très riche dans les salles obscures. Mais j’ai réussi à ramener mon palmarès à 10. Des genres différents, autant en France qu’à l’international. Voici mon palmarès par ordre chronologique de sortie. Et on peut dire que j’ai eu du nez : certains ont été sélectionnés aux Oscars et aux César.
3 Billboards
Missouri, Mildred Hayes (Frances MacDormand) attend que la police avance dans l’enquête sur le viol et la mort de sa fille, 9 mois plus tôt. Mais le chef Bill Willoughby (Woody Harrelson) n’a toujours aucune piste. Pour le faire réagir, Mildred décide de louer les 3 panneaux à l’extérieur de la ville pour dénoncer son inaction. “Violée alors qu’elle agonisait. Toujours aucune arrestation. Pourquoi, chef Willoughby ?” Celui-ci trouve les accusations injustes, les preuves matérielles étant inexistantes. Dixon (Sam Rockwell), un policier raciste aux méthodes brutales, prend position pour son chef et tente d’intimider Mildred. La tension monte peu à peu, avec des conséquences inattendues et tragiques.
Plongée dans l’Amérique profonde, sur fond de misère sociale, de racisme et de violence brute, 3 Billboards est servi par un casting impeccable, en particulier les 3 principaux rôles. Frances McDormand propose un personnage de femme forte et en colère, mais une colère froide et réfléchie. Son idée de panneaux en est l’illustration. Peu importe que Willoughby soit atteint d’un cancer. La fin justifie les moyens.
Tout au long du film, la tension, toujours sur le fil du rasoir, n’empêche pas un humour noir et cinglant. Notamment grâce à des dialogues ciselés. Et surtout, les personnages de ploucs se révèlent moins idiots et plus attachants qu’au départ, leur permettant une sorte de rédemption.
The Greatest Showman
Phineas Taylor Barnum a des rêves plein la tête. Fils de tailleur, il espère se sortir de sa condition. Devenu adulte, il épouse son amour de toujours, Charity, issue d’une famille aisée. Mais la vie qu’ils mènent avec leurs deux filles lui semble bien éloignée de celle qu’il imaginait. Lorsqu’il se fait renvoyer de son emploi de bureau, c’est l’occasion pour lui : il ouvre un musée de curiosités, persuadé que l’être humain a un goût inavoué pour le bizarre et le macabre. Mais il ne rencontre pas le succès escompté. Il met alors sur pied un spectacle mettant en scène des artistes aux physiques hors normes et rejetés par la société : un géant, un nain, une femme à barbe, un tatoué, un poilu intégral, des noirs… Malgré l’intolérance de certains, son cirque est plein tous les soirs. Mais ça ne lui suffit toujours pas. Dans sa quête pour plus de reconnaissance et de respect, il perd de vue l’essentiel et risque de tout perdre.
Ce biopic du grand showman inventeur du cirque a les défauts de ses qualités : c’est hollywoodien, complètement romancé et donc loin des côtés sombres du vrai Barnum. Mais c’est un spectacle remarquable, à coups de costumes somptueux, de chorégraphies magnifiques et de chansons fort entêtantes. Benj Pasek et Justin Paul, déjà à l’œuvre sur La La Land, font à nouveau des merveilles. Le travail sur la photo et les décors est également remarquable.
Enfin, le casting est grandiose, au premier rang duquel Hugh Jackman, dont on découvre toute l’étendue du talent de chanteur et de danseur, mais aussi l’envoûtante Zendaya et Zack Efron, qui forment un touchant couple de cinéma. A la clé, un beau message : l’importance de croire en ses rêves et de s’accepter tel que l’on est. Bref, une comédie musicale comme on les aime, qui a tous les ingrédients pour nous faire passer un très beau moment.
Pentagon Papers
La directrice de publication et le rédacteur en chef du Washington Post entrent en possession de documents secrets concernant la conduite de la guerre du Vietnam, dévoilant des décennies de mensonges du gouvernement fédéral. Doivent-ils les publier, au risque de devenir une cible pour le pouvoir en place?
Après Lincoln et le Pont des espions, Steven Spielberg livre une nouvelle chronique sur le pouvoir et la politique. Ici, ce sont les médias qui sont au cœur de la démonstration, en tant que garant du droit à l’information et traditionnel contre-pouvoir. A cette époque, le Washington Post n’a pas encore sorti l’affaire du Watergate et n’est pas donc pas encore le titre mythique de la presse américaine. Les membres de l’équipe n’ont pas encore eu maille à partir avec le pouvoir fédéral mais traite d’infos locales de moindre importance. Kay Graham prend la suite de son mari décédé, élue par un conseil d’administration entièrement composé d’hommes, devenant la première femme à diriger un grand journal américain. Nos protagonistes n’ont donc rien de héros. Mais ils vont devoir faire un choix, au nom de leurs convictions et de leur éthique professionnelle, et en assumer les conséquences.
Le film pose alors habilement des questions fondamentales sur les relations entre les médias et le pouvoir politique, toujours d’actualité, à une ère de fake news, de faits alternatifs et de défiance envers les journalistes. Le pouvoir politique doit-il mentir et cacher des choses à son peuple pour son bien? Peut-on défendre une cause tout en flirtant avec la légalité? Tout en offrant l’occasion aux journalistes du Post d’écrire l’Histoire, l’évolution du personnage de Kay Graham, qui s’affirme et se fait respecter par des hommes qui cherchent à l’infantiliser, offre un souffle intéressant au film. Les dialogues posent efficacement les enjeux, les valeurs qui doivent animer les journalistes.
Et cela grâce à un casting impressionnant. Tom Hanks est évidemment impeccable. Et Meryl Streep ? Que dire à part que c’est définitivement une très grande actrice, tant la retenue puis l’explosivité de son jeu font de son personnage une icône. Les conversations entre ses deux monstres du cinéma américain sont époustouflantes. La galerie de personnages secondaires ne sont pas à sous-estimer car très réussie. Bref, un nouveau jalon majeur dans la filmographie déjà bien fournie du maître Spielberg.
Jusqu’à la garde
Le couple Besson est en instance de divorce. Miriam accuse Antoine de violences. Elle obtient la garde des enfants, mais la juge octroie un droit de visite à Antoine. C’est Julien, le benjamin, qui va cristalliser la guerre entre les parents. Car il ne veut pas voir son père. D’où cette question lancinante : Antoine est-il vraiment dangereux ou est-il une victime dans cette histoire?
Le réalisateur Xavier Legrand propose ici un récit dépouillé, sans artifice, du quotidien d’une famille concernée par la garde alternée. Le film repose sur le jeu subtil et tout en nuance de Léa Drucker et Denis Ménochet, qui ne se dévoilent que par petites touches, pour laisser le spectateur dans l’expectative jusqu’à la fin. Mention spéciale également au petit Thomas Giorio, qui joue Julien, pris entre deux feux dans cette dispute entre adultes, mais qui fait montre d’une grande maturité dans sa volonté de préserver sa famille.
La tension progressive n’empêche pas d’être complètement surpris, sonné et bouleversé par la fin. Le film quitte peu à peu la chronique familiale pour se faire thriller avant de prendre des allures de film d’horreur, et nous hanter pendant longtemps. Les dernières minutes bénéficient d’un montage et d’un rythme incroyables. Xavier Legrand est un réalisateur à suivre.
Black Panther
Au royaume imaginaire du Wakanda, le prince T’Challa revient au pays revendiquer le trône après la mort de son père et devenir le nouveau Black Panther, protecteur de la Nation aux pouvoirs impressionnants. Le Wakanda est un pays d’Afrique ultra-technologique et probablement le plus avancé au monde, grâce à la présence du vibranium dans ses sols, minerai le plus puissant de l’univers. Il lui permet d’ériger un bouclier infranchissable, l’isolant du reste du monde. Le Wakanda a ainsi été épargné par l’esclavage et la colonisation. Mais un nouvel ennemi vient disputer à T’Challa son héritage et bousculer ses certitudes quant au rôle de son pays dans le monde.
Seul héros noir de l’écurie Marvel, Black Panther est ici adapté au cinéma pour la première fois depuis sa création dans les années 60. C’est dire l’attente des fans du comics. Mais également de la communauté noire à travers le monde. Car non seulement Black Panther est le premier super héros africain, mais le film se déroulant en Afrique, la presque totalité du casting est noire. Pour la première fois, l’Afrique est dépeinte de manière positive et un casting noir est réuni pour un film sur autre chose que l’esclavage ou la guerre des gangs aux Etats-Unis. De plus, le réalisateur est noir et l’équipe technique également. Ils ont apporté une grande attention aux costumes, au maquillage, aux coiffures, aux bijoux et aux langues, s’inspirant de réelles tribus africaines.
Mais tout ceci ne serait rien si le scénario du film et la réalisation n’étaient pas à la hauteur. Or on peut affirmer que Black Panther constitue probablement le meilleur Marvel pour plusieurs raisons. D’abord un scénario crédible et à rebondissements. Ensuite, un antagoniste, Erik Killmonger, dont le background a été très travaillé, lui donnant une épaisseur et une motivation complexes, à mille lieues du simple pouvoir pour le pouvoir d’autres méchants. Enfin, les personnages féminins qui entourent le héros sont loin d’être des faire-valoir : la mère, la sœur (responsable du développement technologique), l’ex de T’Challa et la chef de la garde royale sont des guerrières, qui sont prêtes à tout pour sauver leur pays et leur roi. Chacune de leurs relations avec lui sont touchantes.
Le casting réunit les pointures noires du cinéma international : Michael B. Jordan (impressionnant de charisme et de colère rentrée), Forest Whitaker, Angela Basset, Sterling K. Brown, Lupita Nyong’o, Letitia Wright, Daniel Kaluuya. Chadwick Boseman campe à merveille un T’Challa tout en noblesse et prestance, mais en proie au doute au moment de mener la destinée de son pays.
Le film a rapporté plus d’un milliard de dollars de recettes, devenant le 7e film le plus lucratif de l’histoire du cinéma. Il a fait salle comble aux Etats-Unis comme en Afrique. C’est le meilleur démarrage des films Marvel, avec un nombre records de prévente, notamment pour des enfants des quartiers défavorisés.
The Guilty
A Police secours, Asger reçoit l’appel d’une jeune femme qui dit avoir été enlevée par son mari, ses enfants laissés seuls à leur domicile. Mais la communication est coupée, avant qu’il ne puisse identifier le véhicule et le localiser. Commence une course contre la montre pour le policier, qui ne peut compter que sur son intuition, son sens de la déduction et son téléphone.
Asger va gérer cette opération depuis son bureau, se coordonnant avec ses collègues sur le terrain pour retrouver le couple mais aussi les enfants, qui ont besoin d’être rassurés. Coupable d’une bavure et à la veille d’une audition qui va décider de son avenir dans la police, il va prendre cette affaire très au sérieux, allant au-delà de ces attributions. Comme s’il cherchait à se racheter.
Avec une caméra braquée tout le long sur le visage du policier, The Guilty est un thriller haletant à la réalisation originale. Le film est impressionnant par le jeu de l’acteur principal, sur qui tout repose, mais aussi par le minimalisme basé sur les appels téléphoniques. On ne verra rien du drame qui s’est joué dans cette famille. Le réalisateur danois Gustav Möller construit un suspense où la tension va crescendo, l’intrigue avançant au rythme des découvertes d’Asger, jusqu’à la révélation finale. Le spectateur se retrouve alors dans la peau du policier, découvrant comme il peut être frustrant de ne pas se trouver au cœur de l’action et se contenter de répondre au téléphone. Le cinéma danois tient là une perle.
Blackkklansman
Dans les années 70, Ron Stallworth devient le premier officier noir de la police de Colorado Springs, alors que des émeutes raciales éclatent dans les grandes villes du pays. Son arrivée ne fait pas l’unanimité. Mais il ne se laisse pas démonter et fait connaître son envie d’intégrer la cellule d’investigation, qui pratique l’infiltration. Après une première mission pendant une réunion d’étudiants noirs venus écouter l’un de leur leader, il tombe sur une annonce du Klu Klux Klan local qui recrute. Ni une ni deux, il appelle la section et se fait passer pour un sympathisant, à coups de réflexions racistes bien senties. Il suggère à son chef de placer le groupe sous surveillance car il apprend que ses membres projettent quelque chose. Seul problème : Ron a donné son vrai nom. Il a donc besoin d’un collègue blanc, pour jouer son rôle lors des rencontres en face à face. Ce sera Flip Zimmermann. Le Klu Klux Klan va donc être infiltré par un noir et un juif!
Les conversations de Stallworth (John David Washington, excellent) avec les leaders du Klan sont jouissives. Mais très vite, le film avance vers un dénouement à la tension dramatique très bien tenue, grâce notamment à un sens du montage et du parallèle propre à Spike Lee. Car nos deux compères comprennent qu’il leur faut déjouer un attentat, lors de la venue du dirigeant national du Klan, David Duke. Et comble de l’ironie, Stallworth est chargé de sa protection, au vu des menaces dont il fait l’objet.
Spike Lee est de retour dans cette comédie engagée tirée d’une histoire vraie. L’opposant notoire à Donald Trump avait plein de choses à dire sur son pays, et le fait ici avec un humour grinçant. Il prend visiblement beaucoup de plaisir à railler ses bouseux pas très finaux supposés être l’incarnation de la suprématie de la race blanche. Le film rappelle habilement, si besoin était, la proximité entre la rhétorique de Trump et celle du Klan, via les déclarations du vrai David Duke. Le Klan qui l’a adoubé lors de sa campagne présidentielle. Et quand, à la fin du film, après une énième scène jubilatoire pour se moquer des racistes, Spike Lee montre les images des émeutes de Charlottesville où une militante anti-fa est renversée et d’autres blessés, on n’a plus envie de rire. Silence lourd dans la salle, comme sonnée par la démonstration.
Searching
Margot, 16 ans, a disparu après une séance de travail avec ses camarades. L’enquête démarre mais ne donne pas grand chose. Son père David s’implique dans les recherches, en commençant par l’ordinateur de sa fille. Il va se rendre compte qu’il ignorait énormément de choses sur elle.
Si le pitch de départ peut paraître rebattu, la particularité de Searching réside dans son dispositif de réalisation : tout est filmé à travers des caméras, et notamment d’ordinateur. Le spectateur a également accès à tout ce que contiennent téléphone et ordinateur, consultés par le père dans le cadre son enquête. Le début du film, sur les premières années de Margot et la longue maladie de sa mère, résume la place prépondérante qu’a prise l’informatique dans nos vies, car réceptacle et mémoire vivante de nos moments importants.
Puis on bascule dans l’horreur et l’inconnu, lorsque David se rend compte que quelque chose cloche quand sa fille ne donne pas de signe de vie. La performance de John Cho est d’ailleurs poignante, son visage se décomposant à mesure qu’il réalise la gravité de la situation et les secrets de sa fille. Il comprend combien ils se sont éloignés avec le temps, sa fille érigeant des murs pour se protéger et cacher sa peine. Le film exploite à plein les débordements liés à la médiatisation de l’affaire et le déferlement sur les réseaux sociaux. Là encore, David se sent complètement dépassé.
Thriller angoissant, Searching est riche en rebondissements, fausses pistes et révélations, jusqu’à la résolution finale. Habilement construit et réalisé, il ne laisse pas indifférent, l’identification au père meurtri fonctionnant à fond.
Le Jeu
Un groupe d’amis d’enfance dîne ensemble, 3 couples et 1 célibataire. La conversation dérive sur les joies du mariage et de la vie privée. C’est alors que la maîtresse de maison propose un jeu pour le moins original : chacun doit lire les mails et SMS qu’il reçoit et mettre le hors-parleur en cas d’appel. Histoire que tout le monde puisse en profiter. Car après tout, ils n’ont rien à cacher, n’est-ce pas? Réticents d’abord – les hommes surtout – toute la bande accepte de participer. Sans conséquence au départ, le jeu va virer au massacre, en révélant les secrets de chacun, plus ou moins avouables, et faisant voler en éclat l’équilibre du groupe et l’harmonie des couples.
Tout part de questions fondamentales dans les relations : doit-on mettre un code sur son téléphone portable lorsque l’on est en couple? Jusqu’à quel point peut-on avoir un jardin secret pour son conjoint ? Est-ce qu’il faut tout dire à son conjoint et à ses amis proches? Connaît-on vraiment la personne qui partage notre quotidien? Le Jeu joue habilement sur les possibilités offertes par nos téléphones et vies numériques pour cacher une partie de nous-mêmes.
Casting excellent, dialogues ciselés, intrigue façon enquête policière, humour décapant : tout est réuni dans ce huis-clos aux allures bon enfant. Cerise sur le gâteau : le twist final dont on ne dira rien.Ce petit jeu offre des moments drôles, cocasses, tendus mais aussi très touchants (Stéphane De Groot magnifique), mais révèlent nos faiblesses, arrangements avec la vérité ou réelles trahisons. Ce qui est certain, c’est qu’aucun des personnages ne sortira indemne de cette soirée.
Le Grand Bain
Un groupe d’hommes un peu cabossés par la vie se lance dans la natation synchronisée, entraînés par un duo de femmes haut en couleur. L’un est au chômage, un autre patron d’une entreprise à la dérive, un chanteur de rock has been, tous en délicatesse avec leur masculinité. Ils décident de participer aux championnats du monde en représentant la France. Ce projet improbable va les aider à reprendre pied, confiance en eux et se sentir utile.
Gilles Lellouche a cette manière de filmer les corps et la vie de ces pieds nickelés qui les rend touchants et attachants. On aurait voulu en savoir plus sur leur vie et comment ils en sont venus à cette discipline. Mais ce n’est pas grave. Mathieu Amalric,Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Philip Katherine et Boris Ivanoff composent une galerie de personnes masculins fragiles mais qui ne se laissent pas abattre. Il y a des airs de Full Monty, la critique sociale de la crise en moins. La fin en happy end est une facilité scénaristique et pas forcément réaliste mais voir ces personnages enfin pleinement heureux fait du bien.
Mention spéciale aux actrices : Marina Fois est poignante en épouse perdue puis fière de son loser de mari, Virginie Efira et Leila Bekhti touchantes en coachs aux méthodes diamétralement opposées mais qui se complètent bien.