Ictyos, première tannerie de cuir marin

3 amis ingénieurs produisent depuis 2019 du cuir à partir de peaux de poissons vouées à la poubelle.

L’histoire d’Ictyos est partie d’une carte de restaurant. Benjamin Malatrait et Gauthier Lefébure, issus de l’Ecole supérieure de chimie organique et minérale de Compiègne, se sont posé une question. “Nous étions capables d’associer un cuir à chaque type de viande, relate Benjamin. Mais pas pour les poissons. On s’est demandé s’il était possible de fabriquer du cuir à partir de peaux de poisson.” Le lendemain, Gauthier est allé récupérer des peaux de poissons destinées à la poubelle dans un restaurant de sushis pour commencer les tests, dans le garage de ses parents.

C’était en 2016. “Il nous a fallu un an pour tester et structurer notre offre : la technique, l’approvisionnement en local, les clients potentiels… Nous avons rencontré des acteurs de toutes tailles dans divers secteurs – maroquinerie, textile, horlogerie, … Globalement, ils étaient à tout le moins curieux et intéressés, parce que sont des métiers à forte dimension créative, où ils sont constamment à la recherche de nouveaux designs, de nouveaux matériaux, de produits locaux et écologiques, et bien sûr innovants. Certains d’entre eux son aujourd’hui nos clients.”

Emmanuel Fourault, Benjamin Malatrait et Gauthier Lefébure,
fondateurs d’Ictyos – Cuir Marin de France/ Photo CNC-P&M

50 000 tonnes de peaux de poissons jetées chaque année

Il existe déjà le galuchat, cuir de poisson cartilagineux (raie ou requin), pour un résultat à mi-chemin entre le cuir et le minéral. Mais toujours est-il que 50 000 tonnes de peaux de poissons sont jetées tous les ans. Les deux entrepreneurs souhaitaient donc utiliser cette ressource et ce déchet issu de la consommation – et donc inévitable – pour produire du cuir marin. L’entreprise, Cuir Marin de France, est créée en 2018, dans la zone industrielle de Saint-Fons. Il s’agit de la première tannerie en France depuis 50 ans. Pour cela, ils lèvent des fonds via le crowdfunding. Benjamin gère le développement et la communication, Gauthier la production et la R&D. Emmanuel Fourault, ingénieur d’affaires qui a suivi le début de l’aventure, les rejoint pour s’occuper de la partie commerciale.

15 étapes et 14 jours produire du cuir marin

La production démarre en 2019. “Nous avons mené 2000 tests, notamment au centre technique du cuir à Lyon, sur de nombreux paramètres, température, concentration, vitesse de rotation… avant de mettre au point notre procédé. Il comprend 15 étapes et dure 14 jours”. Une fois récupérées, les peaux sont congelées pour être stockées. Décongelées, elles sont débarrassées de leur chair avant d’être écaillées et lavées. Puis sont ajoutés les teintures et les tannins végétaux, avec des écorces d’arbres comme principe actif. “Nous avons fait le choix de n’utiliser aucun métal, comme le chrome ou l’aluminum, mais plutôt des ressources renouvelables”. Enfin, les peaux sont séchées à l’air libre et assouplies dans une machine.

Collaboration d’Ictyos avec Jean Rousseau sur des bracelets de montres.

Un modèle d’upcycling dans le textile

Depuis sa création, l’entreprise s’est agrandie au-delà des trois fondateurs, avec deux commerciaux, un coloriste et un ingénieur. Ils proposent, sous la marque Ictyos, des cuirs à base de peaux de carpe, esturgeon et saumon. Elles viennent de la pisciculture, de fileteurs (intermédiaire dans la transformation du poisson) ou de restaurants. “Ça va de Sushis Shop à Christian Têtedoie”.

Preuve que leur produit a du potentiel, il a convaincu des acteurs de la maroquinerie, de la chaussure, de l’horlogerie, mais aussi de l’aéronautique et de l’automobile. “Nous sommes contactés aussi bien par des particuliers que des marques de luxe. La conscience écologique est une tendance de fond. On fait déjà attention à ce qu’on mange. Désormais, on fait attention à ce que l’on porte.” Si l’entreprise ne fait pas de création mais vend ses pièces de cuir, des collaborations avec des créateurs permettent de faire la démonstration des possibilités offertes par le cuir marin.

Collaboration d’Ictyos avec Le Feuillet, maroquinier de luxe.

Ce modèle de recyclage innovant leur a valu d’être invités à intervenir lors de la première édition de l’Upcycling Festival de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), qui a eu lieu du 23 au 25 octobre. Ictyos a par ailleurs été sélectionnée par le groupe LVMH pour intégrer son incubateur à start-up, Station F à Paris. “Nous serons accompagnés pour présenter notre projet aux maisons du groupe. Sur la vingtaine de start-up retenues, nous sommes la seule française et la seule dans le cuir”. Outre ce grand coup d’accélérateur, l’entreprise va développer de nouveaux cuirs – un par an – et continuer d’améliorer le process, notamment en allant vers des teintures plus écologiques.

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